7 novembre 2022
publics vegetalises
La transparence écologique d’une infrastructure désigne son niveau de perméabilité au regard des déplacements vitaux de la faune. La mise à niveau des infrastructures les plus anciennes est un enjeu majeur de l’efficacité de la politique nationale des trames verte et bleue.
Cet article du Cerema paru dans le magazine TechniCités présente la démarche et des solutions à coûts modérés pour agir sur le réseau communal et départemental.

logo techni citésLe réseau routier français, constitué de plus d’un million de kilomètres de routes, fragmente le territoire entraînant, en plus de la perte directe d’habitats, la rupture des continuités écologiques supports des déplacements vitaux de la faune. La collision entre la faune et les véhicules représente l’impact le plus visible de cette perturbation.

Cet article paru dans le magazine Techni Cités présente aux acteurs des collectivités le contexte et les moyens de favoriser la transparence écologique du réseau routier.

 

Une prise en compte récente des continuités écologiques

lapin dans un passage à fauneMême si le premier passage à faune, en forêt de Fontainebleau, date des années 1960, l’obligation de la prise en compte des continuités écologiques dans les politiques publiques à travers la trame verte et bleue (TVB) est assez récente. Elle a été introduite dans le droit français par les lois dites Grenelle 1 et 2 en 2009 et 2010. 

Depuis cette date, la législation s’est renforcée, obligeant, en respect de l’article L.371-3 du code de l’environnement, les projets publics d’infrastructure (de l’État et des collectivités territoriales), soumis ou non à étude d’impact, à prendre en compte les continuités écologiques et préciser les mesures à mettre en œuvre dans le cadre de la séquence "éviter, réduire, compenser" (ERC), avec pour objectif de ne pas perdre de biodiversité, voire d'en gagner. L’État s’appuie notamment sur les "orientations nationales (ONTVB) pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques" adopté par le décret du 20 janvier 2014.

À l’échelle régionale, il est possible de s’appuyer sur le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) (1) alors qu’à l’échelle plus locale, les documents de planification (Scot, PLU et cartes communales...) doivent identifier et prendre en compte les éléments de continuités écologiques

Le réseau routier est particulièrement dense en France métropolitaine avec 1,77 km de routes par km² de surface du territoire. En Europe, la France n’est devancée que par la Belgique et les Pays-Bas avec respectivement 4,89 et 3,16 km/km².

Le réseau français est constitué d’infrastructures aux caractéristiques très différentes. Le réseau autoroutier (concédé ou non), souvent considéré comme le plus impactant puisque très circulé, très large et engrillagé presque en totalité, ne représente que 1 % des routes françaises. Le réseau routier national constitue également 1 % du total. Le réseau départemental représente environ 34 % du linéaire d’infrastructures alors que le réseau communal représente quant à lui 64 %.

L’effet de coupure ressenti par les espèces n’est évidemment pas comparable entre une autoroute et une voie de desserte locale.

 

Cependant, les plus petites routes peuvent constituer des obstacles très importants, notamment pour les espèces à faibles capacités de déplacement comme les amphibiens, à cheminement lent, qui migrent chaque année entre un lieu d’hivernage et un lieu de reproduction.


Malgré tout, et du fait des ressources financières à disposition, la grande majorité des opérations de rétablissement des continuités écologiques sont réalisées sur le réseau routier structurant alors que le réseau routier local, géré par des collectivités aux ressources (financières et techniques) plus modestes n’enregistre que peu d’opérations de ce type. Des solutions efficaces et assez peu coûteuses existent pourtant pour inverser la tendance.

 

La requalification environnementale du réseau

passage dans une buse aménagé pour les mamifèresLe réseau routier est ancien et l’obligation de prise en compte des continuités écologiques assez récente. En conséquence, de très nombreuses routes françaises coupent des axes de déplacement de la faune. Sa nécessaire remise à niveau peut constituer une opportunité intéressante à saisir pour le rétablissement des continuités écologiques, a fortiori dans le cadre des nouvelles réflexions sur la résilience des territoires et d’un plan de relance post-Covid-19.

Certaines collectivités locales s’engagent dans la requalification globale de leurs routes. C’est notamment le cas du département de la Loire-Atlantique, dans le cadre de son plan d’action 2019-2021 baptisé "Engagement départemental pour des déplacements partagés, sécurisés et durables", avec notamment l’axe 4 "Favoriser la biodiversité des bords de route". Il s’agit par exemple d’aménager une centaine d’ouvrages pour permettre le passage de la petite faune terrestre et d’analyser plus de 700 ponts pour déterminer leur franchissabilité au regard de la faune semi-aquatique, la loutre en particulier.

Les travaux d’entretien et de modernisation des infrastructures sont donc l’occasion d’améliorer cette situation. C’est ce que l’on appelle la requalification environnementale d’un réseau (volet biodiversité, dépendances vertes ou dépendances bleues).

 

Des étapes indispensables sont à mettre en œuvre pour une opération de requalification réussie :

  • la réalisation d’un diagnostic global, utilisant une méthodologie robuste permettant la hiérarchisation des enjeux
  • la définition de solutions techniques adaptées au contexte de l’ouvrage et aux enjeux en faisant appel à des matériaux durables ; 
  • la réalisation suivant les règles de l’art, le suivi et l’évaluation des travaux de requalification.

 

La principale spécificité d’une requalification d’infrastructures linéaires de transport existante comparativement à des travaux neufs est précisément que l’infrastructure est ancienne et qu’il est délicat, voire impossible d’identifier la qualité de la continuité écologique originelle. Outre l’analyse bibliographique, l’étude de terrain, du milieu naturel et des ouvrages existants est primordiale pour la (re) création de ces continuités.
Au regard des budgets contraints et des coûts de certaines de ces opérations, il est nécessaire d’être très rigoureux dans la sélection des solutions techniques et le choix de la localisation de ces aménagements en fonction des enjeux identifiés dans les nécessaires études préalables. Le guide du Cerema "Les passages à faune : Préserver et restaurer les continuités écologiques avec les infrastructures linéaires de transport" paru en décembre 2021 détaille toute la démarche pour les  différents types de passage à faune.

Des études fines en concertation avec les acteurs locaux sont donc nécessaires pour définir précisément le positionnement et les techniques de rétablissement des continuités écologiques à étudier dans le respect des composantes des sous-trames locales et du fonctionnement des écosystèmes locaux. En effet, dans certains cas, le rétablissement des continuités écologiques peut ouvrir l’accès à des milieux naturels jusqu’alors préservés de la colonisation par les espèces exotiques envahissantes.

Enfin, une implication des acteurs locaux (associations, parcs naturels régionaux, fédérations de chasse, agriculteurs, usagers...) participe d’une meilleure acceptation sociale de ces dépenses et permet un suivi plus efficace des dispositifs mis en place.

 

Difficile estimation

La direction interdépartementale des routes ouest (Diro) comptabilise chaque année plus de 5 000 animaux morts par collision avec les véhicules, ce qui représente en moyenne 3,5 collisions /km /an et environ 34 tonnes de biomasse !

Bien qu’impressionnants, ces chiffres sont pourtant en deçà de la réalité. Le test d’un protocole scientifique réalisé par le Cerema lors de passages dédiés au dénombrement des cadavres d’animaux permettrait au bas mot de multiplier le nombre d’animaux morts par cinq, notamment pour les petites espèces plus difficilement détectables.

Oiseau percuté par une voiture
Tourterelle des bois percutée par un véhicule - JF Bretaud Cerema

 

Retours d'expérience

Le Cerema a publié un recueil d’expériences pour accompagner les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre dans le rétablissement de la transparence écologique de leurs infrastructures linéaires de transport.

Ce document intitulé "Permettre à la faune de franchir les infrastructures linéaires de transport – exemples de requalifications d’infrastructures" compte douze fiches qui présentent la méthodologie et illustrent des problématiques, des techniques, des maîtres d’ouvrage et des espèces cibles divers.

 

Les fiches

Des solutions qui peuvent être simples mais doivent être adaptées

Des solutions peuvent en effet être trouvées pour tous types de faune et d’infrastructures :

La petite faune :

martre sur un ponton longeant une buse
Martre sur une banquette - JF Bretaud

Pour faciliter le passage de la petite faune au niveau des infrastructures, l’utilisation des ouvrages d’art existants est particulièrement recommandée.

Différentes techniques sont possibles, comme la construction d’une banquette en béton, la fixation d’une banquette en encorbellement (sorte d’étagère permettant le passage de la petite faune) ou la pose de pontons flottants, particulièrement adaptés à la faune semi-aquatiques. Dans le cas de certaines espèces comme le castor, un escalier peut être suffisant pour l’aider à passer un obstacle a priori infranchissable.

En fonction des contextes, la mise en place de buses sèches sous l’infrastructure par ouverture de la route ou par la technique du fonçage (la buse est poussée dans le remblai de l’infrastructure) est la seule solution appropriée. En outre-mer, avec la présence des reptiles et des primates de la canopée, ou en France métropolitaine lorsque des enjeux pour les espèces arboricoles comme le muscardin ou l’écureuil roux sont identifiés, des cordes, échelles de cordes ou portiques peuvent être mis en place.

 

La grande faune :

passage supérieur pour grande faune
Passage supérieur pour grande faune - JF Bretaud Cerema

La grande faune (il s'agit des espèces plus grandes ou plus grosses qu’un renard ou qu’un blaireau) a généralement besoin d’espace pour se déplacer. La construction d’un ouvrage spécifique de grande largeur est une très bonne solution puisque pouvant être positionné à l’endroit voulu. Cette solution, très coûteuse, est parfois employée.

Le plus souvent, ces passages s’appuient sur des ouvrages d’art existants. Des exemples d’élargissement d’ouvrages, de réaménagement d’un pont ou d’un passage sous chaussée peuvent donner de bons résultats pour ces grandes espèces s’ils sont bien réalisés et accompagnés de mesures connexes comme le guidage des animaux (réseau de haies par exemple) ; 

 

Les espèces aquatiques :

Pour les espèces aquatiques et les poissons migrateurs en particulier, il est possible d’effacer tout ou partie d’un seuil ou d’un saut en rivière pour implanter un aménagement appelé "passe à poissons".

 

Longer l'infrastructure :

D'autres solutions ont pour objectif de permettre à la faune de cheminer longitudinalement dans les dépendances vertes en toute sécurité. Il s’agit par exemple de décaler les clôtures de l’emprise routière pour laisser accessibles les surfaces enherbées, arbustives ou arborées, favorables au déplacement de la faune pour faciliter les déplacements
entre deux possibilités de passages sécurisés pour les espèces.

 

Comme déjà évoqué, toutes les techniques présentées précédemment nécessitent des études fines, dans le respect des procédures réglementaires et notamment environnementales (Natura 2000, loi sur l’eau, espèces protégées...). L’association d’un écologue à l’équipe de maîtrise d’œuvre, y compris en phase travaux est primordiale pour assurer la fonctionnalité de l’aménagement mis en œuvre.

En métropole, jusqu’en 2019, le dispositif de TVB se déclinait à l’échelle régionale à travers les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE).

 

Article rédigé par Jean-François Bretaud, chef de projet biodiversité, référent TVB et faune département des transitions territoriales, groupe ingénierie écologique au Cerema.

 

vue de cerfs ou biches a l'entrée d'un grand passage a faune par piege photographique

 

Passage supérieur pour grande faune

Rendez-vous les 22 et 23 novembre 2022 :

Deux journées d'échanges techniques "les passages à faune au service des continuités écologiques, de la mise en oeuvre au suivi" sont organisées à Paris- la défense les 22 et 23 novembre, par le Cerema, l'Office français de la biodiversité, le centre de ressources Trame verte et bleue et le ministère en charge de l'écologie.

Des retours d'expérience méthodologiques et pratiques seront proposés.